Les contrats de brasserie : du changement dans l’air ?
A l’occasion d’une lecture ce matin dans l’excellent journal l’Echo ainsi que du projet d’Ordonnance présenté par la Fédération Horeca Bruxelles en vue de modifier la loi sur les baux commerciaux, et singulièrement en vue d’encadrer plus encore les mécaniques souvent obscures liant les contrats de brasserie et les baux commerciaux, on peut affirmer que rien n’est jamais acquis (et ce ne sont pas les Syndicats qui diront le contraire). La Fédération entend (enfin) ouvrir ce débat « là où personne n’est allé auparavant » - clin d’œil aux adeptes du Capitaine Kirk et de son acolyte aux oreilles pointues -. Le contrat de brasserie, c’est comme les croquettes aux crevettes : une spécialité bien belge ! Décryptage :
Date of the article: 26 June 2025
Le problème
Loin de nous l’idée de juger si un contrat conclu entre deux parties consentantes relève d’un abus coupable, d’une ignorance naïve ou d’une volonté assumée. Toujours est-il que si vous êtes un tantinet ouvert sur le secteur, vous aurez probablement entendu quantité de noms de volatiles à propos de ce type de contrats. Souvent jugés comme sévères, stricts, pour ne pas dire déviants voire malhonnêtes, de nombreux exemples de locataire Horeca dépeignent cette particularité où, mariés à un brasseur pour le meilleur et pour le pire, ces exploitants se voient un jour éjectés de leur fonds de commerce sans autre forme de procès. Ne faisons d’ailleurs pas le procès des contrats de brasserie, car jusqu’à preuve du contraire, s’ils existent, c’est que des locataires ont accepté de les signer. Mais là où le sujet semble irriter bon nombre de locataires, représentés par la Fédération Horeca, c’est qu’il y parfois abus, et certains sont devenus maîtres en la matière.
Le projet que la Fédération Horeca souhaite porter
Après la remise à niveau récente du code de conduite encadrant les relations entre parties concernées, le projet d’Ordonnance porté par la Fédération Horeca vise à améliorer la protection du locataire commercial, dans le cadre des baux commerciaux qu’il signe, notamment, avec des distributeurs de boissons ou brasseurs. Le projet a été déposé par Pascal Smet et Ludivine de Magnanville, ancienne présidente de la Fédération Horeca Bruxelles. La proposition entend interdire au Bailleur (ici le Brasseur ou le Distributeur de boissons) d’assortir la conclusion d’un bail commercial à des obligations d’approvisionnement, tel que cela se pratique dans le métier, et à encadrer le versement d’une indemnité (« pas-de-porte ») à la sortie ou à l’entrée d’un locataire. La pratique du métier démontre en effet, suivant la Fédération, un équilibre insuffisant entre Locataire et Bailleur, là où la loi sur les baux commerciaux de 1951 avait été pensée pour protéger ledit Locataire, et le doter d’un bail stable. Bref, un bon coup de balai serait nécessaire dans cette matière qui a pris la poussière, et pour certains, un mauvais pli. Mais l’air ne fait pas la chanson.
Fronde unie de la Fédération des Brasseurs et des distributeurs de boissons contre ce projet
Bien sûr, les principaux intéressés crient au scandale, et quoi de plus normal, car c’est pour eux un gagne-pain assuré, dans un combo toujours gagnant : 1) acheter un immeuble commercial ou à défaut prendre la main sur un bail principal), 2) trouver un bon locataire, et s’il n’a pas d’argent, le lui en prêter, et 3) l’engager dans les termes d’un bail commercial attaché à un contrat d’approvisionnement, dont le but final sera de vendre les produits du brasseur. Le locataire devient l’ambassadeur du brasseur. Facile, logique, évident, pour ne pas dire élémentaire. Et quitte à parler sans filtre, ça casse à la base la créativité dans les concepts, et plus encore, dans les assortiments de produits proposés.
La fronde unie des intéressés évoque des risques en cascade pour l’Horeca bruxellois. Bien sûr, dans le combo évoqué plus haut, il arrive souvent que le Brasseur joue le rôle du banquier, en mettant à disposition des fonds de commerce équipés, voire des conditions d’entrée très intéressantes, quand ce ne sont pas des fonds perdus ou du matériel. Bref, cela facilite l’accès à beaucoup de primo-développeurs, n’ayant souvent pas accès au levier bancaire. La Fédération des Brasseurs voit cette pratique comme une solution aux problèmes de crédit, et on ne peut pas lui donner tort. De plus, les brasseurs voient, en cas d’adoption de cette mesure, l’avènement d’un déséquilibre dans les relations contractuelles avec leurs locataires, estimant qu’ils ne pourraient alors plus écouler leurs produits, freinant dès lors les investissements, avec à la clé une hausse des loyers, pour ne pas dire, horreur et damnation, le développement fulgurant de chaînes de fast food et la décrépitude du centre historique de Bruxelles. Ce propos a été repris ce matin par Nicolas Keszei dans l’Echo. L’approche mérite toutefois de la nuance.
Qu’en retenir ?
Chacun voit midi à sa porte, et l’essence d’un contrat est bien sûr d’être équilibré, entre parties consentantes. Partant de là, pourquoi ne pas donner un petit coup de pouce aux exploitants Horeca, en renvoyant dans le passé ces méthodes, il est vrai, un peu barbares, mais l’étant par la simple existence d’un contrat signé par deux parties qui y ont vu un intérêt. Soyons ouverts et progressistes et surprenons-nous à rêver d’un monde parallèle, un petit royaume, où l’Horeca tournerait à plein régime :
Les exploitants seraient libres de choisir sans entrave les boissons qu’ils souhaitent offrir à leur clientèle. Aucune obligation, aucune quantité minimale, aucune entrave. Ca fonctionnerait au coup de cœur, au marketing le plus persuasif, ou produit le meilleur ou le plus original. La théorie de Darwin ferait le reste. Les produits les moins plébiscités disparaîtraient tout simplement, les distributeurs ou brasseurs seraient forcés de se secouer les méninges pour grapiller des parts de marché et jouer le jeu. L’innovation serait au rendez-vous chez les fournisseurs, et les prix d’achat certainement en baisse. Ca c’est pour l’aspect positif, en revenant à des règles de marché non-biaisées, et après tout, logiques. Par contre, le nombre de développeurs Horeca baisserait inévitablement, faute à un accès au levier financier nécessaire. Mais est-ce un réel désavantage, dans un pays qui compte parmi le plus grand taux d’Horeca par habitant ? Par contre, dans un écosystème Horeca fragilisé, retirer subitement la prise de brasseurs établis offrant du levier financier pourrait provoquer un chaos temporaire sur le marché, avec des faillites à la clé.
La solution résiderait peut-être dans un système hybride, où le contrat d’approvisionnement existerait, mais de manière non-exclusive ou affranchi de volumes, voire à durée courte, sans pénalités, et au lieu d’agiter le bâton, la carotte pourrait elle aussi faire des miracles, avec des réductions progressives en fonction des volumes écoulés ? Les pénalités pourraient se calquer sur le modèle bancaire, un remboursement via tableau d’amortissement, et si sortie anticipée, moyennant paiement d’une indemnité de remploi « light ». Au lieu de 5 ou 7 ans, ces contrats pourraient se limiter à 2 ans, renouvelables, avec clause de révision annuelle, et/ou reconduction tacite si les objectifs sont atteints ? Le brasseur pourrait passer du statut de fournisseur captif à celui de partenaire, en inversant les rôles ?
L’empressement est toutefois mauvais conseiller, et il y a fort à parier que ce projet d’Ordonnance devra repasser sur l’ouvrage, afin d’être mûrement réfléchi et adapté en connaissance de cause. Car un texte mal pensé risque d’être contesté ou contourné, et le belge est spécialiste en la matière, tout comme les services juridiques de ces grosses entités. Affaire à suivre…
Crédit photo et texte : Grégory Sorgeloose