Demain, tous dans les fast-foods ?

Mon associé me rappelait encore tout à l’heure ce bon vieux navet anticipatif de 1993 qu’est le film Demolition Man, issu des têtes créatives d’Hollywood de l’époque. Un monde du futur, fixé dans le film à 2032, dans lequel la marque de fastfoods TacoBell avait gagné la guerre des franchises

Date de l'article: 17 Octobre 2023

Demain, tous dans les fast-foods ?

Par Grégory SORGELOOSE 17-10-2023

 

Mon associé me rappelait encore tout à l’heure ce bon vieux navet anticipatif de 1993 qu’est le film Demolition Man, issu des têtes créatives d’Hollywood de l’époque. Un monde du futur, fixé dans le film à 2032, dans lequel la marque de fastfoods TacoBell avait gagné la guerre des franchises, si bien que tous les restaurants du pays étaient désormais des TacoBell.

 

Ce futur imagé était celui du politiquement correct, devenu carrément dictatorial, écrasant l’individualisme sous des airs d’hygiénisme ambiant. Dire un gros mot y était interdit, amende à la clé. Fumer, manger épicé, boire un café, manger de la viande, tout ce qui y était jugé comme mauvais y était interdit. L’argent y avait disparu au profit d’une monnaie virtuelle, les gestes barrières entre humains étaient la norme, tandis que les voitures y étaient électriques et silencieuses, entourées d’énormes espaces verts et d’arbres. Et comme dans tout bon film, le peuple gronde sous cet air de perfection.

 

Le décor placé, je ne peux m’empêcher de dresser un parallèle avec notre monde d’aujourd’hui, et centrer mon raisonnement sur ce petit détail anecdotique qu’est l’omniprésence de TacoBell dans ce film. Une franchise… de fast food.. qui envahit le monde… sans laisser aucune place au moindre concurrent. Une vision d’horreur, un sentiment de déjà-vu.

 

Et pourtant, après une brève analyse du marché actuel, des tendances émergentes, des challenges que traverse l’Horeca, des centres d’intérêts des développeurs immobiliers, le rôle de l’Afsca, tout concourt à faire de ce cauchemar une possible réalité future. Et c’est sans blâmer personne, quoique, que je dresse ce constat, avec une pointe d’amertume et de frayeur.

 

Le monde occidental accélère son hygiénisation, et la Belgique cheveux au vent, tête la première, fonce dans le tas « pour notre bien » : disparition lente de l’argent en espèces, traçage de tout et n’importe quoi sous des prétextes de sécurité, dictature du politiquement correct où évoquer un avis contraire vous expose aux plus hautes sentences, surexposition des minorités, verdurisation à tout prix, imposition par les décideurs de politiques unilatérales et non-concertées en matière diverses (dont la mobilité), fiscalité punitive voire spoliative, organismes parastataux (tel l’Afsca) prônant l’hygiéniquement correct et poussant l’agro-alimentaire et les industriels de tous poils au détriment des producteurs artisanaux. Sommes-nous déjà en 2032 ?

 

Regardez le marché Horeca actuel : alors que quantité d’indépendants, jeunes chefs talentueux, développeurs motivés, créateurs de tendances, artisans de tous poils, se battent chaque jour pour offrir à leur clientèle une expérience, une qualité, du Produit, du contenu, de la saveur, ils font face contre vents et marées à des difficultés croissantes : la pénibilité de leur travail, les horaires à n’en plus finir auxquels ils s’astreignent, une marge de plus en plus rognée, des coûts fixes et variables qui explosent, entre autre l’énergie et le personnel, le manque de main d’œuvre, la versatilité des clients, quand on n’évoque pas les imbuvables « no show », produit d’esprits mal éduqués et imbus de leur personne, tout porte à saluer, chapeau bas, cette génération de passionnés qui donne tout de leur vie privée et professionnelle pour nous offrir, vous offrir, un moment agréable.

 

A côté de ce courant, heureusement encore bien dynamique, le développement de chaînes de fastfood locales ou internationales s’accélère, et les parts de marché se disputent à coup de mètres carrés et de linéaire façade, tant à Bruxelles que dans d’autres villes, en ce compris dans les villes de Province, phénomène nouveau. On parle désormais plus de linéaire et de flux de chalands, de profil socio démographique et d’habitudes de consommation que d’origine de produit ou d’astuces pour lier une sauce. Là où la restauration était autrefois une passion, elle est devenue pour beaucoup aujourd’hui un business juteux (mais sans goût).

 

La clientèle répond d’ailleurs présent, quoiqu’elle en dise, à l’appel des fastfoods. Tout le monde y va, leur développement fécond en est la meilleure preuve. Et ce n’est pas le niveau des loyers commerciaux qui leur font peur. Les chiffres le démontrent chaque jour dans la Presse retail spécialisée : les investisseurs privés et institutionnels font confiance aux fastfoods, qui sont pour eux des valeurs sûres assurant un excellent rendement immobilier. Ils sont solides financièrement, ont besoin de main d’œuvre peu qualifiée, offrent des produits à peu de valeur ajoutée et fortement industrialisés, générant une marge plantureuse. Ils offrent des préparation finalement bon marché (quoique) à un public de plus en plus précarisé, n’ayant plus les moyens de se rendre au restaurant. Bref, la boucle est bouclée, avec l’aval du Gouvernement qui ignore le secteur de la plus belle des manières : en s’y rendant régulièrement sans pour autant en connaître les coulisses. Ne vous étonnez donc pas de voir les stations-services en bordure d’autoroutes ou les hôpitaux vous proposer de la malbouffe, soit grasse et salée, soit insipide et infecte. C’est tracé, on sait d’où ça vient, c’est rassurant, c’est vérifié, c’est cacheté, c’est certifié de toutes sortes de labels qui sonnent creux, et l’Afsca valide. La variété doit prévaloir, il en faut pour tous et pour tous les goûts, mais en aucun cas au détriment des artisans qui ont un rôle crucial dans l’éducation des générations à venir et, osons le dire, en matière sanitaire. 

 

Je souhaite donc profiter de cette Tribune pour saluer les gens de l’Horeca, les vrais, les authentiques, les passionnés, ceux qui ne comptent pas leurs heures et leurs jours pour ravir leurs clients, pour concocter de véritables préparations aux ingrédients savamment choisis, à ceux qui passent des heures à réaliser une carte, voire ceux ayant à cœur de créer les tendances et concepts d’avenir, s’inspirant du meilleur d’hier pour créer le meilleur de demain.

 

Un conseil, un seul : Poussez les dans le dos, rendez-leur visite le plus souvent possible, congratulez-les, consommez, même en petites quantités si votre portefeuille ne vous permet pas plus, adressez leur des mots d’amour, des félicitations, faites leur publicité, louez leur gentillesse et leur savoir-faire, soyez fiers de ce patrimoine gastronomico-culinaire. Nos Horeca sont extraordinaires ! Et si vous ne le savez pas, il est temps d’effacer l’app Uber de votre téléphone et de vous attabler à un Horeca en chair et en os, loin de votre canapé !