L’influence des décisions politiques et urbanistiques dans l’Horeca bruxellois

La Politique et les décisions urbanistiques qui en découlent influencent souvent, tantôt positivement, tantôt négativement, le dynamisme dess quartiers commerçants de Bruxelles, et singulièrement l'Horeca qui les habite. Explication >

Date de l'article: 2 Septembre 2024

Un lien de cause à effet indéniable

 

Tout qui s’intéresse un minimum à la Politique et à l’urbanisme régional aussi bien que communal à Bruxelles, aura constaté que la ville mute et évolue sans cesse depuis plusieurs années. Que l’on parle de zone piétonnes, de mailles apaisées, de réaménagement de places et quartiers, voire de mobilité, beaucoup y perdent leur latin, et la chose a le don de cristalliser des points de vue affirmés autant que contradictoires. Ces modifications sont bien sûr le fruit d’un souhait avant tout politique, et traduisent la complexité du dynamisme urbain. Le secteur Horeca est particulièrement sensible aux politiques urbaines, et chacun ira de sa propre analyse, à charge ou à décharge, à leur égard. Mais un élément demeure incontestable : ces politiques tantôt dynamisent et stimulent des quartiers, tantôt les ensablent. Décryptage…

 

Quelques cas concrets : Dansaert et Fernand Cocq

 

Passons en revue le quartier Dansaert, le piétonnier du centre-ville et la Place Fernand Cocq à Ixelles. Des exemples évidents, ayant généré autant d’enthousiasme que de quolibets à l’égard de leurs instigateurs, à l’époque de leur annonce.

La rue Antoine Dansaert a connu des destins contrastés. Autrefois peu recommandable au même titre que la Place Saint-Géry voisine carrément mal famée, c’est suite à des décidions politiques et des choix urbanistiques qu’elle a mué dès les années ’80 en un haut lieu de la mode. Son architecture haussmannienne préservée et sa proximité immédiate avec l’hypercentre bruxellois ont su convaincre les investisseurs de son attrait. Et l’Horeca a suivi naturellement le mouvement, avec l’arrivée d’enseignes avant-gardistes à l’époque, telles le Pain QuotidienBonsoir Clara, et un peu plus tard ComoComo et ses tapas servis sur tapis roulant. En 2015, tabula rasa sur les Grand Boulevards avec le dantesque projet de piétonnier bruxellois. Aucun projet n’a, à notre connaissance, autant déchaîné les passions. Et il faut donner raison à des détracteurs de l’époque : ils s’y sont pris comme des boyscouts dans les phases préparatoires, totalement illisibles, et mettant à nu la pauvreté galopante du centre de Bruxelles.

Quasi 10 ans plus tard, il faut toutefois donner raison au projet, il a embelli le centre-ville, c’est un fait, et demeure un succès commercial, si l’on fait abstraction des massifs végétaux qui désormais coupent toute vue depuis l’allée centrale sur les commerces périphériques. La réflexion n’est en effet pas toujours un atout dont les édiles politiques débordent. Mais quelle autre conclusion tirer, en filigrane, et que le Politique ignore officiellement, caché derrière des chiffres stériles ? Les Grands Boulevards sont devenus un lieu d’hyperconsommation au standing très surfait, suite à un souhait tout aussi Politique d’attirer plus encore le tourisme de masse dans le centre de Bruxelles. Les bruxellois de souche se désintéressent du centre au profit d’expatriés, à l’image d’un Beer Temple déserté là où un autre projet aurait mieux fait de voir le jour. Les Enseignes présentes sur le piétonnier sont identiques à toutes celles que l’on peut trouver dans tous les centres urbains européens : sans grande nuance ni qualité intrinsèque. Et cette piétonnisation des grands Boulevards a également entraîné un chamboulement de la mobilité, dont certains quartiers et leurs occupants en sont sortis amochés. Nous évoquons ici, à titre d’exemple, la rue Antoine Dansaert. Autrefois rue aux accents nobles flanquée de belles boutiques, du moins dans son 1er tronçon côté Bourse, à double sens et au stationnement relativement aisé de chaque côté, elle faisait indéniablement partie des lieux où « il fallait être ». Le Politique local a toutefois décidé de modifier son sort, dans une vision globale, et c’est précisément là que le bât blesse. Car globalité rime souvent avec manque de clarté et de clairvoyance. Et les chiffres théoriques s’avèrent rarement en phase avec la réalité du terrain quand on prend la peine d’y consacrer toute l’attention requise. Car désormais, la rue Antoine Dansaert se meurt gentiment. Et qui l’ignore doit être pris de cécité soudaine. L’analyse mérite toutefois quelques nuances, il faut l’avouer. Devenue ruelle secondaire à faible flux automobile et voie de sortie de la ville (une voie unique, sortante), elle accueille désormais, sur sa voie entrante, une bande réservée aux bus et taxis et une double piste cyclable. Le stationnement des 2 côtés a été supprimé, et les livreurs matinaux s’y livrent désormais à des exercices scabreux pour ne bloquer aucun de ces usagers faibles. Vue sur un cliché photographique ramené par un touriste chinois de passage, la rue ne peut en effet être que plus « esthétique » qu’avant. Mais l’esthétique n’a jamais fait tourner le commerce. Et la réalité nous le prouve : la rue est en déclin. De nombreux espaces commerciaux y sont vides et à louer. Le restaurant Bonsoir Clara a déposé le bilan. Komo Bowl itou. Tout récemment c’est ComoComo qui y jette l’éponge après 22 ans de succès. Tout ceci avec un bilan unique et sans équivoque : les loyers, en augmentation de 25% entre 2018 et 2023, y sont désormais trop élevés pour la masse de client en berne dans l’Horeca. L’absence totale d’arrêt en voiture pose problème, à commencer pour les livreurs. L’aménagement empêche le placement de toute terrasse. La jolie rue d’autrefois se vide désormais de ses occupants historiques.

Mais toute pièce à son revers : ceux qui partent amènent de nouveaux arrivants, enfin partiellement, et avec toujours un point commun : un changement radical dans la typologie d’Horeca, désormais axé sur la clientèle locale et au rayonnement moindre. C’est que le concept de « ville à 10 minutes » cher au Mayeur bruxellois entraîne un recentrage de l’Horeca bruxellois sur une clientèle locale, voire hypra locale. Bye bye la clientèle venant de l’extérieur de la ville, sauf à doses homéopathiques ou pour certains concepts précis. Sortez de Dansaert à hauteur de la Place du Vieux Marché aux Grains, et vous constaterez toutefois une toute autre histoire ! Car comparaison n’est pas raison, et la mise en piétonnier de la rue Sainte-Catherine réclame un tout autre récit.

On enfourche sa trottinette, son vélo, son Uber ou sa voiture et on se décale vers la Place Fernand Cocq à Ixelles, et son pendant, la piétonne chaussée d’Ixelles. Le constat est sans appel : l’aménagement de la place en semi piétonnier est une réussite totale : il est beau, bien pensé, et a d’emblée séduit les développeurs Horeca. Y trouver un spot vide relève  désormais du challenge et y trouver une place pour s’asseoir en terrasse relève du défi. Les cessions-acquisitions y sont rares, ou chères, voire les deux. Il en va tout autrement du tronçon de la Chaussée d’Ixelles qui y démarre direction la Porte de Namur. La semi-piétonnisation, mêlée aux voitures qui y passent à certaines heures, et aux taxis et bus en journée et soirée, a manqué la cible. Cette portion de rue autrefois commerçante le demeure, mais en demi-teinte, sans réel envol, avec des commerces de qualité moyenne. Une même décision politique et urbanistique appliquée à deux cas concrets, pourtant voisins, donne donc des résultats radicalement différents.

 

Qu’en conclure ?

 

La nuance est de rigueur, mais osons affirmer que les exemples de « bonnes » et de « mauvaises » politiques pullulent en région bruxelloise. Certains aménagements demeurent des succès incontestés voire visionnaires, d’autres restent des gâchis sans nom, faute à une écoute attentive des commerçants impactés, qu’on dit toujours entendre mais qui ne sont pas pour autant écoutés. Les terrasses « Covid » demeurent, à titre d’exemple, un succès, et font l’objet d’une pérennisation, elles contribuent à embellir et animer les quartiers commerçants. Les problématiques des terrasses en intérieur d’ilot, tolérées depuis plusieurs décades, mériteraient, a contrario, un traitement plus créatif qu’une si simple chasse aux sorcières. Les résultats très contrastés des politiques urbanistiques et commerciales au cœur des communes mettent en lumière l’écoute très partielle de l’homo politicus des acteurs de terrain : aussi favorablement animé qu’il puisse être et autant entouré par des consultants qu’il soit, le Politique devrait ré-apprendre à écouter les acteurs de terrain et sortir de raisonnements purement théoriques. Connaître une ville ne se résume en effet pas à lire des statistiques. Affaire à suivre…

Par Grégory SORGELOOSE 02-09-2024