Le retour du Son dans l’Horeca, une tendance qui s’annonce avec relief.

La ville fait du bruit, et ce n’est pas qu’une métaphore. Deux tendances bercent en ce moment le cœur des grandes métropoles, et Bruxelles n’échappe (heureusement) pas à la règle : les bars audiophiles et les « morning raves »

Date de l'article: 26 Mai 2025

La ville fait du bruit, et ce n’est pas qu’une métaphore. Deux tendances bercent en ce moment le cœur des grandes métropoles, et Bruxelles n’échappe (heureusement) pas à la règle : les bars audiophiles et les « morning raves ». L’un soigne nos tympans à coups de vinyles ultra-quali et de cocktails, l’autre remplace avec punch nos réveils et nous emmène nous agiter l’arrière-train entre le premier métro et le kawa du matin. Deux ambiances, deux horaires, un même besoin : réenchanter l’écoute et les lieux de vie.

Le retour du son sacré : bars audiophiles

Ils s’appellent Jazz Kissa au Japon — ces sanctuaires sonores nés dans les années 1950 où l’on se taisait religieusement pour écouter des disques sur du matériel Hi-Fi aux noms imprononçables. À Tokyo ou à Osaka, ces lieux ont longtemps été l’apanage de dandys introvertis, casques invisibles vissés à la tête, whisky Nikka à la main. Mais voilà que ces temples du vinyle reviennent hanter nos nuits occidentales, portés par une génération qui a troqué les shots de vodka contre des pressages rares de Coltrane. La tendance est désormais lancée à Bruxelles avec l’arrivée récente de Boaboa Records Café, tout frais sorti de presse, où les murs de bois huilé côtoient une faune bigarrée autour de plats à partager ou de cocktails à siroter, avec pour point commun : le bon son. Pas de playlists impersonnelles dictées par un algorithme robotisé ici, et encore moins de dj tapageur / hurleur (une race en voie d’extinction d’ailleurs) : c’est le disque qui décide du tempo. À Paris, Le Très Particulier ou le Public Records  à New York suivent cette même logique : une scénographie sonore ultra-maîtrisée, du mobilier feutré, et des playlists plus précieuses que le dernier drop Supreme. Car la Hi-Fi est une religion, qui ne prône pas la quantité, mais la qualité. Aucune course aux décibels ou aux basses les plus tonitruantes, mais bien la quête d’une pureté de son, d’un relief impossible à entendre dans des airpods, fini le gavage audio industrialisé, retour à l’artisanat et au savoir-faire, une tendance lourde qui reprend possession du paysage Horeca.

Pourquoi ça marche ? Parce qu’à l’heure du streaming compulsif et de l’algorithme glouton, on a envie d’écouter lentement, intensément, presque religieusement. Parce que le son analogique est devenu une quête spirituelle. Et aussi, soyons honnêtes : parce qu’avoir une platine Thorens au comptoir, ça pose une ambiance et une conversation plus qu’un écran où les titres défilent sans logique.

Danser et transpirer avant midi, mais oui bien sûr !

Pendant ce temps, le jour se lève… et les BPM montent crescendo. Exit les afters hagards dans des caves suintantes, bienvenue aux morning ravesbrunch techno, et autres café-club où l’on danse sobrement (ou pas du tout) au saut du lit, un pain au choco à la main, et aucune vodka dans l’autre. New York a ouvert le bal avec les événements Daybreaker, où l’on médite à 7h, on danse à 8h et on part au bureau à 9h, dopé au kéfir et à l’amour universel. À Berlin — toujours un coup d’avance — le Kaffee Burger propose des sets live en pleine journée, pendant que les restaurateurs peaufinent leur mise en place du midi. On danse dans une salle de réunion du bureau, dans la salle d’un resto, au milieu d’un marché matinal, dans un bar à café à l’heure des premiers coups de fil professionnels, voire pourquoi pas dans un sauna ! 

Même phénomène à Barcelone, où le Satan’s Coffee Corner sert ses espressos au rythme de live sets discrets, et à Amsterdam où certains cafés comme Bret ou Café DS organisent des “diurne-sessions” sur leurs terrasses. À Montréal, c’est dans des co-working à la scandinave qu’on glisse un DJ set dans le lunch break. Et à Paris, Le Hasard Ludique mixe granola, yoga et nu-disco le dimanche matin.

Pourquoi  ça marche? Parce que les rythmes de vie changent. Parce que la sobriété festive (et la gueule de bois sociale) devient une norme. Parce qu’on veut des expériences qui élèvent sans nous ruiner les neurones. Parce que l’hédonisme responsable, c’est cool. Et aussi, soyons honnêtes : parce que danser à midi et se coucher à 22h, c’est un plaisir de vieux avant l’âge. Les tendances prospectives du secteur Horeca mondial le prédisaient déjà il y a 2 ans : l’Horeca doit créer une expérience, un voyage immersif, sensoriel, totalement dépaysant et hors du commun, destiné à transporter le client ailleurs et autrement durant son passage. A coup sûr, le son est le moyen de transmutation idéal pour y parvenir.

En conclusion ?

Ces deux tendances incarnent un changement profond de notre rapport à la sociabilité, au temps et à la consommation, en particulier dans les environnements urbains parfois aseptisés. Dans notre monde de sollicitations constantes, elles proposent un ralentissement et une écoute active, qu’elle soit sonore, humaine ou sensorielle. Le but est in fine de vivre des expériences, de créer du lien, de s’ancrer dans l’instant et  le vivre intensément et surtout qualitativement, afin de lui donner du sens.

Ce glissement dessine les contours d’une nouvelle culture urbaine, tout en nous rappelant à tous que la fête, la musique et la convivialité ne sont pas l’apanage de la nuit de ni l’excès, tout en nous ramenant à l’enfance où toute occasion était bonne pour chanter ou danser, tandis que la nuit portait conseil et était destinée au repos. La fête a décidément changé de fuseau horaire.

Grégory SORGELOOSE - 26/05/2025 -  crédit photo : Grégory Sorgeloose