Ouvrir un restaurant virtuel, une bonne idée ?

Les repas cuisinés à l’extérieur et consommés « à domicile », vous le savez, ont le vent en poupe depuis quelques années, poussés dans le dos par toutes sortes de concepts plus ou moins créatifs, le plus souvent urbains...

Date de l'article: 3 Août 2022

Le contexte

Les repas cuisinés à l’extérieur et consommés « à domicile », vous le savez, ont le vent en poupe depuis quelques années, poussés dans le dos par toutes sortes de concepts plus ou moins créatifs, le plus souvent urbains, allant du comptoir à emporter, au plus classique traiteur, pour passer par le restaurant virtuel ou son synonyme la « dark kitchen ». Et ce n’est pas le climat anxiogène et sanitaire récent qui contredira ce constat.

Si le traiteur est une formule connue et éprouvée, il a le désavantage de proposer une offre réduite, et de fournir des repas, certes cuisinés, mais à réchauffer chez soi. Cela nécessite donc un point de chute avec du matériel de chauffe. Le comptoir take away résout cette équation, avec la seule difficulté que le client doit s’y rendre pour chercher sa commande, et toute la problématique que représente la mobilité dans nos villes actuellement. Y aller à pied est forcément une option dans les centres densément peuplés et dans un rayon court, envisager le retrait en moyen de locomotion motorisé mais doux, en est une autre, aux risques et périls de l’utilisateur, qui risque de se mordre les doigts en voyant son potage wantan renversé dans son sac, la faute à un virage trop serré en trottinette ou à une chute sur des rails de tram.

 

Le restaurant virtuel / dark kitchen serait-il la solution ?

Il est évident que ce modèle dispose de bien des avantages que d’autres n’ont pas. Les menus sont larges et bien fournis, les moyens de paiement rapides et créatifs, les plats arrivent cuisinés, chauds et prêts à être consommés sans préavis dans un délai relativement court. Le client n’a pas à se déplacer, il est servi « comme au restaurant », avec quelques nuances et limites toutefois. Que demander de plus à vrai dire ?

Pour le développeur, cela permet en outre de diversifier dans un espace réduit, son menu, avec diverses cuisines, quitte à les « brander » séparément comme autant de marques / concepts distincts. De même, un restaurant virtuel n’a aucun besoin d’être dans le flux ou dans les artères commerçantes les plus chères. Un emplacement de second choix, nettement moins cher, fait souvent l’affaire. Enfin, nul besoin de personnel de salle ou au bar. Les chiffre d’affaires sont souvent plantureux, mais encore faut-il voir la  bottom line du bilan ? Le bénéfice reste, souvent, assez réduit.

Le site Euromonitor annonce que le chiffre d’affaire de ce secteur a doublé entre 2014 et 2019, une progression fulgurante ! Le marché prouve en tous les cas chaque jour qu’il a encore de l’avenir. Nous pensons toutefois que, malgré cette progression exemplaire, le modèle va évoluer en s’affinant, un premier tri a déjà lieu dans les enseignes, et une première mise à jour des marques / concepts s’opère déjà.

 

Des avantages, mais pas que…

Le pitch est trop beau pour être vrai, et notre pratique du métier nous démontre que certains acteurs souffrent déjà des maladies de jeunesse de ce concept. Listons ici même quelques écueils classiques.

Un traiteur, un comptoir ou un restaurant plus classique pourront toujours, quoiqu’il arrive, conseiller le client, et le cas échéant, remplacer un plat posant problème ou donner des conseils de réchauffe, voire raconter l’histoire entourant le plat. Ce ne sera jamais le cas avec une dark kitchen, les livreurs n’étant pas payés par le producteur du repas, mais pas une société tierce dont le seul rôle est de rentabiliser au mieux les livraisons, n’ayant par ailleurs aucun égard à la qualité du repas livré, son état d’arrivée ou le temps qu’il aura mis à atterrir dans votre assiette.

N’oublions certainement pas le coût que représente, une fois le plat produit, sa livraison au client final. A moins de gérer lui-même le réseau et les ennuis qui vont de pair avec la livraison, le patron devra s’acquitter d’une commission de 30% à la société de livraison. Ce taux n’est pas anecdotique, et bien éloigné du ratio conseillé loyer VS chiffre d’affaire, qui dépasse rarement les 10% dans les pires modèles. 10% de frais fixes VS 30% en mode dark kitchen, le calcul est vite fait ? La réponse se doit d’être plus nuancée, mais ce poste pose néanmoins question tant il est élevé.

Le flou urbanistique entourant ce type d’activité n’aide forcément pas à la clarté. Est-ce un traiteur ? Un restaurant ? Est-ce de l’Horeca ? Un permis d’environnement est-il nécessaire ? En outre, produire pour plusieurs « marques digitales » nécessite un grosse puissance d’aspiration, donc des hottes coûteuses et bruyantes, source de nuisances.

En résumé, nous pensons que ce secteur confirme sa vivacité et reste plein d’avenir, mais celui qui souhaitera s’y épanouir devra soit atteindre une masse critique, un réseau dense avec des économies d’échelle, soit sortir de l’automatisme dépersonnalisé de ce concept et y rajouter de l’expérience, de l’humain et du conseil. Affaire à suivre…